Page:Barbey d’Aurevilly - Une histoire sans nom, 1882.djvu/149

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femme étouffait ce désir. Elle l’étouffait, avec l’horreur de l’avoir conçu. Le rapprochement de cette mère et de cette fille dans cette voiture était encore plus étroit que dans leur éternelle embrasure de fenêtre… Elles ne s’y parlaient pas davantage. Que se seraient-elles dit ?… Elles s’étaient tout dit… Précipitées et absorbées en elles-mêmes, ni l’une ni l’autre ne songea à mettre une seule fois la tête à la portière de la voiture, pour y chercher du regard, en passant, la distraction de quelque paysage ou l’intérêt physique de la plus mince curiosité… Elles n’en avaient plus pour rien… Elles passèrent les longues heures de leurs jours de voyage dans un silence pire que le reproche, sans pitié ni pour l’une ni pour l’autre, — atroces toutes les deux dans un ressentiment farouche, car elles s’en voulaient, l’une de n’avoir pu rien tirer de cette fille stupide et obstinée qui était la sienne et qui était là, genou à genou, avec elle, et l’autre de tout ce que pensait d’elle sa mère, — son injuste mère… Ce long voyage, à travers la France, fut pour elles deux un chemin de croix de cent cinquante lieues…, et même