Page:Barbey d’Aurevilly - Une histoire sans nom, 1882.djvu/198

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officier blanc qui avait été son Ange noir, car il l'avait vêtue de noir pour sa vie. À présent, on n'y dansait plus. Autre temps, autres mœurs ! Mais on y dînait. Les dîners y avaient remplacé les contredanses. Vieillie deux fois par le chagrin et par les années, on pouvait peut-être s'étonner de rencontrer dans la fête d'un dîner joyeux madame de Ferjol, plus sévèrement pieuse que jamais, presque une sainte, si on pouvait être une sainte sans miséricorde. Elle y était, pourtant ! Cette femme, d'une force de caractère qu'on a pu juger, et l'ennemie de toute affectation extérieure, était revenue, longtemps après la mort de sa fille, il est vrai, au monde de la société à laquelle elle appartenait, et elle s'y montrait simplement et sobrement, mais enfin elle s'y montrait ! Elle y portait stoïquement ensevelie dans sa poitrine une idée qui était pour elle le cancer qu'on cache et qui vous mange le cœur sans qu'on pousse un cri. Cette idée, c'était l'impénétrable et l'inoubliable secret de sa fille, morte sans l'avoir révélé. Personne, nulle part, ne s'était jamais douté de ce que madame de Ferjol savait de la vie de sa fille,