Page:Barbey d’Aurevilly - Une histoire sans nom, 1882.djvu/232

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était debout devant cette fosse, la contemplant, oubliant les heures, plongée des yeux dans ce trou où allait pourrir l’homme de sa haine, comme son âme plongeait dans sa haine, comme le soleil d’une soirée d’été plongeait alors à l’horizon… Elle l’avait dans le dos, ce soleil, et sa grande ombre à elle tombait dans la fosse, allongée par ce soleil qui se couchait, en rougissant ses vêtements noirs de ses rayons. Tout à coup une autre ombre s’allongea près de la sienne, et une main se posa sur son bras. Elle tressaillit. C’était l’abbé Augustin.

— C’est vous, madame ? fit-il plus grave qu’étonné.

— Oui, dit-elle avec une profondeur d’accent qui le fit frémir ; j’ai voulu en régaler ma haine !

— Oh ! madame, dit le prêtre, vous êtes une chrétienne, et ce que vous dites n’est pas chrétien. Venir regarder un mort dans sa tombe avec les yeux de la haine, c’est le profaner, et on doit le respect aux morts.

— À celui-là, jamais ! fit-elle. J’avais tout à l’heure envie de descendre dans sa tombe pour le fouler sous mes talons !