Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/127

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Cela est, en effet, sous très-peu de mots qui entrent en nous comme des agrafes et, pour s’y attacher davantage, nous font saigner sous leurs ardillons, cela est un siècle et cela est un homme qui porte l’idiosyncrasie de ce siècle fondue dans la sienne ! M. Guizot a dit : Werther carabin. Un autre dira : René bourgeois et cloporte ; un troisième : Oberman de la plaine Montrouge ; un autre encore : Byron de faubourg, pauvre, laid et qui boite non d’un pied, mais de l’un et de l’autre côté, comme dit la Bible ; Pascal débauché qui s’en revient des lieux mauvais, le front bas, laver ses rougeurs dans le frais clair de lune d’un soir qui se lève et qui, à nous autres rêvcurs, parle éloquemment de pureté.

On pourra dire tout cela, mais moi je dis : C’est le XIXe siècle et sa jeunesse ; c’est le XIXe siècle, non pas pris, — et c’est là l’originalité du Joseph Delorme, — dans les hauteurs sociales où tout s’exceptionnalise, mais dans le niveau commun, dans l’universalité, dans le torrent qui passe à travers la pleine route ! Moi, je dis que dans ce Joseph Delorme chacun de nous a sa facette dans laquelle il peut se mirer, s’il l’ose, et se retrouver, tel qu’il fut au moins quelques jours ! Peinture enlevée avec une vigueur un peu cynique, je ne le nie pas, brutal débridement de plaie qui montre le fond, et fait honneur au carabin. Ne croyez pas, du reste, qu’il n’y ait là que de l’énergie.

La grâce y est encore bien plus. La grâce y est si grande qu’elle y peut remplacer la tendresse, qui n’y est jamais. Joseph Delorme la mêle à tout, et même à la honte. J’ai connu autrefois une femme qui disait « j’ai honte » avec un si divin accent, quand il y avait