Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/93

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après sa vie, à la place où il était mort… Avec la grâce franche, qui décore le don même qu’elle fait, le Ministre de l’instruction publique, qui est le Ministre des Lettres, a regretté de ne pas avoir à offrir à la famille de Brizeux une somme plus forte que celle qu’il a déposée sur son cercueil. Mais, pour ceux qui aiment en tout les harmonies, un don plus grand aurait peut-être moins convenu. Il eût été moins en rapport avec la modestie du poète et la chasteté de son talent. Les poètes qui, comme Brizeux, n’ont eu jamais que le touchant mobilier de Sterne, — une jatte de lait, une chemise blanche, et une conscience pure, — n’ont pas besoin d’un mausolée. Une obole suffit pour leur tombeau.

Et d’ailleurs ici, c’est obole pour obole. Dieu lui-même, en fait de talent, n’a pas donné plus à Brizeux.

Il n’avait que cela. Mais avec cela on gagne le ciel, et la Gloire elle-même peut s’acheter à ce prix : pourquoi Brizeux n’aurait-il pas eu sa gloire ? … Hélas ! il ne le voulut pas ! L’homme a la faculté superbe d’être prodigue, même avec rien, et Brizeux a été l’Enfant prodigue de son obole : il l’a coupée en quatre, dispersée, jetée à tous les vents ! Tout le temps qu’il garda pieusement ce pauvre don de Dieu, qui devait être son unique richesse, ce fut pour lui ce denier qui est tant compté dans l’Évangile, et qui s’y appelle le denier de la veuve et de l’orphelin. Mais quand il voulut échanger l’humble et loyale monnaie contre le faux or littéraire de son temps, ce qu’il tint du siècle ne remplaça pas ce qu’il lui donna. « Le monde ne nous rend rien pour une seule des joies qu’il nous ôte », a dit lord Byron avec son inexprimable mélancolie.