Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 1.djvu/290

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quelle le vieillard commença de comprendre qu’il n’y avait pas à s’opposer.

— Il est timbré, pensa-t-il, mais je vais réveiller le vieux vicomte. — Et il déposait déjà sur le coffre à l’avoine la lanterne qu’il tenait à la main, quand Néel, qui avait vu l’intention et le mouvement à la lueur de cette lanterne : — Reste là, lui dit-il en le saisissant par le collet, — pas un mot ! pas un geste ! Tu sais ce que je veux et si je le veux ! — ajouta-t-il avec l’accent qu’aurait le bronze, si le bronze parlait. Tu ne me quitteras que quand je serai en voiture et hors de la cour !

— Non, monsieur Néel, — dit alors le vieillard, — je ne vous quitterai pas, puisque vous le voulez. Mais il y a deux places dans la voiture, et, si vous y montez, j’y monte avec vous !

Néel fut touché de ce dévouement.

— Tu es un brave homme, mon vieux Jean Bellet, dit-il au fidèle serviteur de sa maison. Mais, si tu viens avec moi, qui soignera les chevaux ? Ils ne connaissent que toi et moi. Il faut que tu restes. D’ailleurs, il n’y a pas de danger, ajouta-t-il avec le mensonge d’une confiance superbe, — car il allait en courir un terrible et il s’élançait au-devant : — n’est-ce pas toi qui, dès que ma main a su tenir des guides, m’as appris à conduire ? Tu sais si je peux mener !