Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 1.djvu/298

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lendemain. Ils n’avaient pu fuir. Un limonier, attelé à une charrette, qui ne se dérangea pas assez vite devant cette furie, fut atteint par le moyeu de la roue et eut le poitrail emporté. Enfin un taureau effaré et pris de peur se jeta sur le char lancé, et la roue, l’implacable roue, toujours tournant, lui cassa les cornes dans ses irrésistibles rayons !

Partout ce fut dégât et désastre ! car ce Mazeppa à deux chevaux, que sa volonté seule liait à leurs croupes, n’avait pas les steppes infinies du désert pour s’y enfoncer. De toutes parts, résistances et obstacles ! Il trouvait des arbres qu’il cognait et dont il arrachait l’écorce ; des haies qu’il trouait ; des barrières dont il renversait les poteaux ! Il traînait après lui des débris de toute sorte dont les chemins restaient jonchés quand il était passé. Les chevaux fumants, écumants, toujours plus fouettés, toujours plus rapides, devinrent de plus en plus fous. Ils couraient et marchaient dans leur propre écume, ruisselante autour d’eux ; dans leur propre sang qui commençait de rouler sur leur musculature déchirée aux buissons et de pourprer leur jais profond d’un rouge sinistre.

Quelques tours de roues de plus, ils allaient peut-être s’abattre et rester sur le flanc, mais Néel avait calculé l’heure. Lorsqu’après tous