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LA MORT

Brutus m’a pu trahir !

Pauline.

Brutus m’a pu trahir ! Oubliez un perfide.

Porcie.

Il faut donc oublier mon père & mon païs ;
Nos malheurs ſont communs, nous ſommes tous trahis.
Souviens-toi de ce jour fatal à notre gloire,
Je n’en puis ſans frémir rappeller la mémoire ;
Jour affreux où Caton s’immolant de ſa main,
Dans Utique avec lui périt le nom Romain.
C’eſt là que ce Héros déchirant ſes entrailles,
De notre liberté marqua les funerailles.
Mes yeux, mes triſtes yeux en furent les témoins :
Mais ſa main fut trop prompte, & prévint tous mes ſoins.
La mienne dans mon ſang alloit être plongée :
Arrête, me dit-il, Rome n’eſt pas vengée ;
Dans le camp de Céſar je te laiſſe un époux :
Je le connois, ma fille, il nous vengera tous ;
C’eſt à lui d’immoler un Tyran que j’abhore ;
Et je meurs trop heureux, puiſqu’il reſpire encore.
A ces mots il expire à mes yeux éperdus,
En prononçant les noms de Rome & de Brutus.

Pauline.

N’y penſez plus, Madame, & rendue à vous-même
Haïſſez un ingrat…

Porcie.

Haïssez un ingrat… J’en rougis : mais je l’aime