Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/100

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Puis ils dirent à nouveau que Dieu les voyait. Ce groupe de ténèbres, sculpté dans les ténèbres, rêva que Dieu les découvrait et les touchait comme une illumination. Leurs âmes enlacées vivaient plus profondes et plus grandes. Je recueillis ce mot : « toujours ! ».

Écrasés, réduits à rien, ces êtres que je devinais rampant sous les draps le long l’un de l’autre comme des larves, disaient : toujours ! Ils proféraient le mot surhumain, le mot surnaturel et extraordinaire.

Tous les cœurs sont pareils avec leur création. La pensée pleine d’inconnu, le sang nocturne, le désir comparable à la nuit, jettent leur cri de victoire. Les amants, quand ils s’enlacent, luttent chacun pour soi, et disent : « Je t’aime » ; ils attendent, pleurent et souffrent, et disent : « Nous sommes heureux » ; ils se lâchent déjà défaillants et disent « toujours ! ». On dirait que dans les bas-fonds où ils sont enfoncés, ils ont volé le feu du ciel comme Prométhée.

Et j’allais les cherchant, souffle à souffle… Comme j’aurais voulu les voir, à cet instant ! Je le voulais aussi fort que je voulais vivre : découvrir ces gestes, cette rébellion, ce paradis, ces figures, d’où tout s’exhalait. Mais je ne pouvais pas aller jusqu’à la vérité ; je voyais à peine la fenêtre, au loin, vague comme une voie lactée, dans l’immensité noire de la chambre. Je n’entendais plus de paroles, mais un murmure dont je ne comprenais pas si c’étaient leurs consentements encore une fois joints qui montaient, ou des plaintes qui s’arrachaient de la plaie de leurs bouches.