Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/105

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ruban, puis tient la garniture de roses de ce chapeau près de sa figure, devant la glace, et, satisfaite sans doute, elle chantonne…

… Il ne la regarde pas, et lorsqu’il la regarde, il ne la voit pas !

Ah ! cela est solennel ; c’est un drame, un drame morne, mais d’autant plus angoissant. Cet homme n’est pas heureux, et cependant j’envie son bonheur. Dites-moi ce qu’il y a à répondre à cela, sinon que le bonheur est en nous, en chacun de nous, et que c’est le désir de ce qu’on n’a pas !

Ces gens sont ensemble, mais, en vérité, absents l’un de l’autre ; ils se sont quittés, sans se quitter. Il y a sur eux une espèce d’intrigue de néant. Ils ne se rapprocheront plus, puisque, entre eux, l’amour fini tient toute sa place. Ce silence, cette ignorance mutuelle sont ce qu’il y a de plus cruel sur la terre. Ne plus s’aimer, c’est pire que de se haïr, car, on a beau dire, la mort est pire que la souffrance.

J’ai pitié de ceux qui vont deux à deux, enchaînés par l’indifférence. J’ai pitié du pauvre cœur qui a si peu longtemps ce qu’il a ; j’ai pitié des hommes qui ont un cœur pour ne plus aimer.

Et, pendant un instant, devant la scène si simple et si déchirée, j’ai subi un peu le martyr énorme, innombrable, de ceux qui ne souffrent plus.