Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/141

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femme avait entouré le jeune couple obscurément libéré, d’un inutile embrassement, d’un embrassement perdu. Il avait raison, ce vague réciteur, ce vague chanteur, ce penseur.

— Aucun recours contre l’infatigable malheur de la vie ; pas même le sommeil : « Dormir… La nuit, on oubliait… — Non, on rêvait ; le repos se souvient, s’emplit de spectres vrais ; notre sommeil ne dort jamais : il agonise… — Parfois, il nous caresse avec ses formes grises, le rêve que l’on rêve. — Il nous fait mal toujours : triste, il blesse nos nuits ; doux, il blesse nos jours… »

« Pourtant nous étions tous les deux », murmure l’épouse… Et ils regardent l’amour. A la fin du labeur, ils allaient ensemble mêler le long de la nuit le repos et la tendresse… « Mais la nuit, nous étions un instant l’un à l’autre… Quand nous cherchions, parmi tous les chemins, le nôtre, et nous hâtions, obscurs, vers le logis mal clos, comme vers une épave au sein de tous les flots, quand l’ombre se mêlait, au fond de la vallée, à ta robe usée, humble et comme flagellée, mes yeux sous les rayons qui s’éteignaient en chœur, voyaient le battement presque nu de ton cœur. Tout seuls, que disions-nous… — Nous nous disions : je t’aime… »

« Mais ce mot, hélas, n’a pas de sens, puisque chacun est seul, et que deux voix, quelles qu’elles soient, se murmurent d’incompréhensibles secrets. Et c’est l’anathème contre la solitude à laquelle ils sont condamnés : « Ô séparation des cœurs, terre entassée sur chacun d’eux, silence affreux de la pensée ! Amants, amants, nous nous cherchions à l’infini ;