Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/148

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naît de la misère et il y tient tout entier, et on ne peut pas plus dissocier la joie et la souffrance, que la lumière et l’ombre. En les séparant, on les tue toutes les deux. « Moi, telle que je souffre ! » Comment être heureux dans un calme parfait et une clarté pure, abstraits comme une formule ? Nous sommes faits de trop de besoins et d’un cœur trop déréglé. Si on nous enlevait tout ce qui nous fait mal, que resterait-il ? Et le bonheur qui viendrait alors ne serait pas pour nous, il serait pour un autre. Le cri confus qui dit, en croyant raisonner : Nous avons eu un reflet de bonheur effacé par de l’ombre ; l’ombre disparaissant, nous aurons tout le bonheur lui-même, — est un mensonge de fou. Et c’est aussi un mensonge de fou que de dire : nous aurons un bonheur pur que nous ne pouvons pas concevoir.

« Et la femme dit : « Mon Dieu, je ne veux pas du ciel ! »

— Eh quoi ! dit Aimée en tremblant, il faudrait qu’on puisse être misérables au paradis !

— Le paradis, c’est la vie, dit-il.

Aimée se tut et resta là, la tête levée, comprenant enfin, qu’avec toutes ces paroles il lui répondait simplement à elle, et qu’il lui avait refait dans l’âme une pensée plus haute et plus juste.

— L’homme est maintenant à l’unisson, reprend-il. D’ailleurs, il sentait depuis quelques instants à quelle erreur se butait sa colère. — Et le