Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/150

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« Et tout autour de nous, le jour mourait, hélas ! »

Je ne savais plus au nom de qui parlait devant moi cette créature humaine, et si, dans sa bouche, il était question d’elle-même ou des autres. Serré entre ces murs, jeté au fond de cette chambre comme une loque humide, l’homme paraissait réaliser une de ces grandes œuvres où la musique se mêle aux paroles :

— Nous avions peur, nous avions froid… Tu étais environnée d’ombres : notre soir, ta robe, ta pudeur… Mais quelle aurore quand j’allais vers toi ! « Ah ! lorsque j’attirais dans mes bras de conquête sous les voiles du soir ta précieuse tête, lorsque j’entrevoyais dans tes gestes brisés ta bouche et son silence infini de baisers, ta chair qui dans la nuit est blanche comme un ange… » Lorsque je m’approchais de ta figure comme du miroir de mon sourire ; lorsque, debout près de toi, te soutenant et soutenu par toi, je plongeais mes yeux fermés dans le soleil de tes cheveux, pour m’éblouir ; quand je fouillais ton ombre avec mes mains pensantes.

« Nous avions besoin l’un de l’autre, nous souffrions l’un par l’autre… Oh ! douter, ignorer, espérer, pleurer ! Et c’est ainsi que cela fut toujours. Malgré les défaillances, les oublis, les faiblesses et les pauvretés, la grande pauvreté de notre amour régna.

— Ah ! dit Aimée, il ne faut pas maudire, il ne faut pas regretter, il faut aimer son cœur.

Il continuait sans s’arrêter à elle : — Et les mourants disent : « Et quand la vie, à la longue, sans nous rapprocher plus qu’il n’est possible, hélas, sans faire de deux êtres un seul être, nous