Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/177

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(je ne parle pas, bien entendu, des fibromes, des myomes et des cancroïdes simples, qui sont les « tumeurs de bonne nature »), reste éternellement embryonnaire ; elle ne peut pas évoluer dans un sens harmonique et complet. Elle s’étend, elle ne sait que s’étendre, sans parvenir à acquérir une forme. Extirpée, elle recommence à proliférer, ou tout au moins dans la proportion de quatre-vingt-quinze pour cent. Qu’est-ce que peut notre corps tout entier à côté de cette chair qui ne s’organise pas et ne sort pas ? Qu’est-ce que peut l’équilibre si minutieux et si fragile de nos cellules contre cette végétation désordonnée qui, au milieu de notre sang, de nos organes, à travers la charpente osseuse et tous les réseaux, incruste une masse insoluble et illimitée !

« Oui, le cancer est, au sens strict du mot, dans notre organisme, de l’infini. »

Le jeune médecin fit oui de la tête et dit avec une profondeur qu’il alla chercher je ne sais où, au contact de l’idée d’infini :

— C’est comme un cœur pourri.

Ils étaient maintenant assis l’un en face de l’autre. Ils rapprochèrent leurs chaises.

— C’est pire encore que ce que nous disons, reprit le plus jeune des deux parleurs, d’une voix timide, retenue.

— Oui, oui, fit l’autre, de la tête.

— Nous ne sommes pas en présence d’une maladie