Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un frisson et le battement de son cœur. D’elle, il ne reste plus qu’elle.

C’est qu’elle est seule. Chose inouïe, un peu divine, elle est vraiment seule. Elle est dans cette innocence, dans cette pureté parfaite : la solitude.

Je viole sa solitude, des yeux, mais elle n’en sait rien, et elle n’est pas violée.

Elle va vers la fenêtre, les yeux s’éclaircissant, les mains ballantes, le tablier céleste. Sa figure et le haut de sa personne sont illuminés ; il semble qu’elle soit dans le ciel.

Elle s’assoit sur le canapé, grand, bas, rouge sombre, qui occupe le fond de la pièce près de la fenêtre. Son balai est appuyé à côté d’elle.

Elle tire une lettre de sa poche, la lit. Cette lettre est, dans le crépuscule, la plus blanche des choses qui existent. La double feuille remue entre les doigts qui la tiennent précautionneusement, — comme une colombe dans l’espace.

Elle a porté à sa bouche la lettre palpitante, l’a embrassée.

De qui cette lettre ? Pas de sa famille ; une fille ne garde pas, lorsqu’elle est femme, de piété filiale assez forte pour embrasser une lettre de ses parents. Un amant, un fiancé, oui… Je ne sais pas le nom de l’aimé que beaucoup savent peut-être ; mais j’assiste à l’amour comme personne de vivant ne l’a fait. Et ce simple geste d’embrasser ce papier, ce geste enseveli dans une chambre, ce geste dépouillé et écorché par l’ombre, a quelque chose d’auguste et d’effrayant.

Elle s’est levée et approchée tout contre la fenêtre,