Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/197

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— Ah ! il vaut mieux pour lui qu’il n’existe pas ! grommela l’autre avec un sarcasme haineux.

J’ai vu le vieux savant se tourner, du fond de la chambre grise, vers la fenêtre blanchissante, et tendre le poing au ciel, à cause de la réalité.

… Le malade tenait sa figure dissimulée derrière la grille de ses longs doigts. Un rêve splendide et précis sortait de sa bouche décomposée, qui nourrissait le mal abject, et toute cette pensée pure inondait la femme, à qui sans doute les médecins avaient parlé.

— L’architecture !… Que sais-je, moi ! Voici, par exemple… Une place énorme : une nappe, une plaine de dalles démesurées, jetée sur les hauteurs de la ville du côté des faubourgs. Puis commence un portique. Des colonnes naissent. Elles se pressent bientôt, se multiplient, vertigineuses, si hautes que leurs grandes lignes fuyantes leur donnent l’air de s’effiler à leurs sommets, et qu’il semble que le toit soit l’ombre du soir ou de la nuit. Ainsi le quart de la place est couvert. C’est comme un palais colossal et grand ouvert, revêtu d’une sorte d’importance semi-naturelle, digne de recevoir comme hôtes le soleil levant, le soleil couchant. La nuit, la forêt immense et blafarde laisse tomber sur son sol de pierre une large clarté diffuse : l’aurore boréale d’un firmament de lampes.

« C’est là dedans que se concentre une grande