Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/234

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… Tous les vols sont passionnels, même celui-là, qui est lâche et vulgaire (son regard d’inextinguible amour pour le trésor soudain saisi !). Tous les délits, tous les crimes, sont des attentats accomplis à l’image de l’immense désir de vol qui est notre essence même et la forme de notre âme nue : avoir ce qu’on n’a pas.

Mais alors, il faudrait absoudre les criminels, et le châtiment est une injustice ?… Non, il faut s’en défendre. Il faut — puisque la société des hommes est étayée sur l’honnêteté — les frapper pour les résoudre à l’impuissance et surtout pour éblouir d’épouvante et arrêter les autres au seuil de la mauvaise action. Mais il ne faut pas, une fois la faute établie, en chercher les grandes excuses, de peur de l’excuser toujours. Il faut la condamner d’avance, en vertu d’un principe froid. La justice doit être glacée comme une arme.

Ce n’est pas, comme son nom semble l’indiquer, une vertu ; c’est une organisation dont la vertu est d’être insensible ; elle ne fait pas expier. Elle n’a rien à voir avec l’expiation. Son rôle est d’élever des exemples : de transformer le coupable en une sorte d’épouvantail, de jeter, dans la méditation de celui qui balance vers le crime, l’argument de sa cruauté. Personne, rien, n’a le droit de faire expier ; d’ailleurs personne ne le peut ; la vengeance est trop séparée de l’acte et atteint pour ainsi dire une autre personne. L’expiation est donc un mot qui n’a aucune espèce d’emploi au monde.