Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/240

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vaste monument de sa race qui cachait quelque part le nouveau et petit cercueil.

« À quoi bon raconter la misère de mon deuil… Tout me le rappelait. J’étais plein d’elle, et elle n’était plus ! Comme ma mémoire s’était affaiblie, chaque détail m’apprenait un souvenir ; mon deuil fut un recommencement affreux de mon amour. La vue du manuscrit me fit souvenir de la promesse. Je le mis dans un coffret sans le relire, et pourtant je ne le connaissais plus, l’esprit lavé par la convalescence. J’obtins qu’on soulevât la dalle, et qu’on ouvrît le cercueil, pour y introduire le livre, selon le vœu de la morte. Un serviteur qui avait assisté à cela, vint me dire : « Il a été mis entre ses mains. »

« J’ai vécu. J’ai travaillé. J’ai essayé de faire une œuvre. J’écrivis des drames et des poèmes ; mais rien ne me satisfaisait, et peu à peu, j’eus besoin de notre livre.

« Je savais qu’il était beau et sincère et tout vibrant des deux cœurs qui se l’étaient donné, et alors, lâchement, trois ans après, je m’efforçai de le refaire — pour le montrer aux gens. Anna, il faut avoir pitié de nous tous !… Mais je dois le dire, ce n’était pas seulement, comme pour l’artiste anglais, le désir de gloire, d’hommages, qui me poussait à fermer l’oreille à la douce voix, si forte pourtant dans son impuissance, qui sortait du passé : « Vous ne me le reprendrez pas, Philippe… »