Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/254

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Je pense à tous ceux qui, jusqu’à moi, ont cherché, — savants, poètes, artistes, — à tous ceux qui ont peiné, pleuré, souri vers la réalité, près des temples carrés ou sous la voûte ogivale ou dans les jardins nocturnes, dont le sol n’est plus qu’un souple parfum noir. Je pense au poète latin qui a voulu rassurer et consoler les hommes en leur montrant la vérité sans brume comme une statue. Un fragment de son prélude me revient en mémoire, appris autrefois, puis rejeté et perdu comme presque tout ce que je me suis donné la peine d’apprendre jusqu’ici. Il dit dans sa langue lointaine, barbare au milieu de ma vie quotidienne, qu’il veille pendant les nuits sereines pour chercher dans quelles paroles, dans quel poème, il apportera aux hommes les idées qui les délivreront. Depuis deux mille ans, les hommes sont toujours à rassurer et à consoler. Depuis deux mille ans, je suis toujours à délivrer. Rien n’a changé la face des choses. L’enseignement du Christ ne l’aurait pas changée, même si les hommes ne l’avaient pas abîmée au point de ne plus pouvoir honnêtement s’en servir. Viendra-t-il, le grand poète qui délimitera et éternisera la croyance, le poète qui sera non un fou, non un ignorant éloquent, mais un sage, le grand poète inexorable ? Je ne sais, bien que les hautes paroles de l’homme qui a fini là m’aient donné une vague espérance de sa venue et le droit de l’adorer déjà.

Mais moi, moi ! Moi qui ne suis rien qu’un regard, comme j’en ai recueilli, de destinée ? Je suis là à m’en ressouvenir. Je ressemble malgré tout à un poète au seuil d’une œuvre. Poète maudit et