Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/257

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nais dans moi-même mon fantôme éternel de poussière, mon squelette, comme on reconnaît quelqu’un. Je le touche, je le palpe, le monstre morne et blanc que je suis au fond…

Mes rêves de grandeur se sont écroulés, puisque mon crâne est semblable aux autres, à tous ceux qui furent.

Combien y en a-t-il eu ? Si l’humanité date de cent mille ans, ce qui est sans doute au-dessous de la vérité, comme il vit sur la Terre un milliard et demi d’habitants qui se renouvellent tous les trente ans, cela fait quatre mille cinq cent milliards de crânes qui tombent en poussière depuis les hommes.

J’irai dans la terre. J’aurai eu une maladie, ou une plaie qui feront pourrir plus vite un coin de ma chair. Je mourrai sans doute de maladie, quelque organe atrophié, rompu, arrêté — ou bien affolé, brisant tout le reste ; je mourrai d’une maladie, tout le sang en dedans… (J’aimerais mieux m’en aller dans la pourpre d’une blessure…)

Et moi aussi, on m’enterrera comme les autres, quoique cela puisse paraître étrange. Déjà comme un avertissement de la boue (les paroles du poète reviennent à moi et m’accablent), j’ai cette poussière qui vient sur moi tous les jours, dont je suis obligé de me laver, dont je me défends dont je m’arrache : c’est l’ange sombre de la terre.

Dans le frêle cercueil, mon corps deviendra la