Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/269

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Et, pour m’assister, j’évoque encore une fois les êtres vivants en qui j’ai foi, les êtres dont j’ai vu ici s’épanouir la figure et les regards se déchaîner.

Je revois des faces, dans le de profundis du soir, émerger comme des victoires suprêmes. L’une contenait le passé ; une autre, toute son attention tendue vers la fenêtre, s’azurait ; une autre, dans la noirceur humide de la brume, songeait au soleil comme un soleil ; une autre, pensive et prolongée, était pleine de la mort qui la dévorerait, et toutes étaient entourées d’une solitude qui commençait dans cette chambre, mais qui ne finissait plus.

Et moi qui suis comme elles, moi qui contiens à l’intérieur de ma pensée l’implacable passé et l’avenir rêvé, et la grandeur des autres ; moi qui regrette, qui voudrais, et qui pense, avec ma figure inguérissable et étendue — moi, moi, le rêve d’étoiles que je viens d’avoir me changerait en poussière ? Est-il possible que je ne sois rien, alors qu’à certains moments il me semble que je suis tout ? Suis-je rien, suis-je tout ?

Alors, je me mets à comprendre… Je n’ai pas tenu compte de la pensée dans cette évocation de l’ordre des choses. Je l’ai considérée comme enfermée dans le corps, ne le dépassant pas, n’ajoutant rien à l’univers. Notre âme ne serait en nous qu’un souffle comme le souffle vital, un organe ; nous tiendrions la même place, vivants, que morts ?