Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/63

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Oui, ardente, ployée, petite comme une enfant, elle regardait au loin, vers celui qui n’était pas là.

Elle courbait les épaules devant cette image, comme si elle la suppliait en détournant les yeux, et recueillait d’elle un reflet divin. Celui qui n’est pas là, celui qu’on trompe et qui existe. L’offensé, le blessé, le dominateur. Celui qui est partout sauf où ils sont, qui occupe l’immensité du dehors et dont le nom leur fait plier le cou ; celui auquel ils sont en proie.

La nuit tombait, comme si la honte et l’épouvante étaient de l’ombre, sur cet homme et cette femme qui venaient cacher étroitement leur enlacement dans cette chambre comme dans une tombe où vit l’au-delà.

Il lui dit : — Je t’aime !

J’entendis distinctement cette grande parole. Je t’aime ! J’ai frissonné dans toute ma vie en recueillant le mot profond qui sortait de ces deux êtres presque mêlés déjà. Je t’aime ! Le mot qui offre le cœur et la chair, le cri grand ouvert de la créature et de la création : Je t’aime ! Je voyais l’amour face à face.

Puis, il me sembla que la sincérité s’évanouissait dans les paroles pressées, incohérentes, qu’il prononça ensuite, en s’approchant, en se glissant contre elle. On eût dit qu’il voulait se débarrasser des phrases nécessaires et qu’instinctivement, il se hâtait, comme il pouvait, d’arriver aux caresses :