Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/74

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rêve, et souvent, secouant l’envahissement de la folie du sommeil, je m’accoudais, et j’étais là, à ouvrir les yeux, à veiller héroïquement sur mon cœur.

« J’avais peur d’être reconnue. J’avais peur qu’on vît la pureté dont j’étais baignée. Oui, la pureté. Quand, au milieu de la vie, on se réveille de la vie, qu’on voit un autre éclat dans le jour, qu’on recrée tout, j’appelle cela de la pureté. »

— Te rappelles-tu la course éperdue en fiacre, à Paris — le jour où il avait cru de loin nous reconnaître et qu’il était entré précipitamment dans une autre voiture qui s’était lancée à la poursuite de la nôtre ?

— Oh oui, murmura-t-elle, c’était la grande fois !

Elle eut un sursaut d’émotion, d’extase.

Il parlait d’une voix tout à fait tremblante, d’une voix mêlée aux coups de son cœur, et son cœur disait :

— À genoux sur la banquette, tu regardais par la lucarne de derrière, tandis que je caressais ton corps, les mains en toi, et tu me criais : « Il approche ! Il s’éloigne !… Il est perdu… Ah ! »

Et d’un même, d’un seul mouvement, leurs lèvres se joignirent.

Elle dit, comme un souffle :

— C’est la seule fois que j’ai joui.