me sens perdu à la surface du monde. J’ai dû faire un effort, à l’instant, pour me faufiler entre les passants, m’asseoir en ce lieu public, et demander ce que je voulais.
… J’ai cru reconnaître la silhouette d’un locataire de mon hôtel, passant dans la rue, le long de la glace du café. Je me suis rejeté en arrière. Je ne suis pas en état de causer de choses et d’autres ; plus tard, je reprendrai cette morne habitude. Je baisse la tête vers la table, accoudé et les poings aux cheveux, pour n’être pas reconnu des gens qui me connaissent, si d’aventure il en passait.
Me voici marchant par les rues. Une femme passe. Machinalement, je la suis… Elle a une robe gros bleu ; un grand chapeau noir ; elle est si distinguée qu’elle est un peu gauche dans la rue. Elle se retrousse assez maladroitement et l’on voit sa fine bottine appliquée autour de sa jambe mince au bas noir transparent… Une autre me croise ; je la dévisage ardemment… Là-bas, un grisaille féminine traverse la rue ; mon cœur bat comme s’il s’éveillait.
Curiosité ? Non, désir. Tout à l’heure, je n’avais pas de désir ; maintenant, cela m’étourdit… Je m’arrête… Je suis un homme comme les autres ; j’ai mes appétits, mes sourdes envies ; et dans la rue grise le long de laquelle je vais je ne sais où, je voudrais m’approcher d’un corps de femme.