Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pressés les uns sur les autres, écrasés par deux bouches, mouillés, noyés, du sang des baisers :

— Veux-tu, veux-tu ?

Et la question prend une grande importance tremblante, la question de tout un être offert, entr’ouvert ou raidi.

Puis une grande voix monte d’un coup d’aile :

— Oui.

— Ah ! balbutie l’autre corps.

Quel moyen mystérieux et désordonné tentent-ils pour se connaître et se toucher ? quelle forme a ce couple ?

Quelle forme ? Qu’importe la forme de l’amour ! Je sors de cette anxiété, et il me semble que j’assiste d’un coup à toute la tragédie d’aimer.

Ils s’aiment ; le reste n’est rien. Qu’ils soient dépravés ou normaux, qu’ils soient maudits ou bénis, ils s’aiment et se possèdent autant qu’on le peut ici-bas.

Ils se cachent à tous après s’être appelés ; ils roulent dans les ténèbres comme dans des draps ou des linceuls ; ils s’emprisonnent ; ils détestent et fuient le jour ainsi qu’un châtiment d’honnêteté et de paix. « Si on savait ! » ont-ils crié, pleuré et ri ; ils se glorifient de leur solitude, ils s’en flagellent, ils s’en caressent. Ils sont jetés hors la loi, hors la nature, hors la vie normale faite de sacrifice et de néant. Ils tâchent de se joindre ; leurs fronts de marbre s’entrechoquent. Chacun est occupé de son corps, chacun se sent étreindre un corps sans pensée. Oh ! qu’importe le sexe de leurs mains cherchant à tâtons la volupté dormante, de leurs