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Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/148

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bandit ; c’était pas un de ces durs cailloux comme tu en vois. Nous étions partis ensemble. C’était un bonhomme comme nous, ni plus, ni moins — un peu flemme, c’est tout. Il était en première ligne depuis le commencement, mon vieux, et j’l’ai jamais vu saoûl, moi.

— Faut tout dire : malheureusement pour lui, qu’il avait de mauvais antécédents. Ils étaient deux, tu sais, à faire le coup. L’autre a pigé deux ans de prison. Mais Cajard1, à cause d’une condamnation qu’il avait eue dans le civil, n’a pas bénéficié de circonstances atténuantes. Il avait, dans le civil, fait un coup de tête étant saoûl.

— On voit un peu d’sang par terre quand on r’garde, dit un homme penché.

— Y a tout eu, reprit un autre, la cérémonie depuis A jusqu’à Z, le colonel à cheval, la dégradation ; puis on l’a attaché, à c’petit poteau bas, c’poteau d’bestiaux. Il a dû être forcé de s’mettre à genoux ou de s’asseoir par terre avec un petit poteau pareil.

— Ça s’comprendrait pas, fit un troisième après un silence, s’il n’y avait pas cette chose de l’exemple que disait le sergent.

Sur le poteau, il y avait, gribouillées par les soldats, des inscriptions et des protestations. Une croix de guerre grossière, découpée en bois, y était clouée et portait : « À Cajard, mobilisé depuis août 1914, la France reconnaissante. »

En rentrant au cantonnement, je vis Volpatte, entouré, qui parlait. Il racontait quelque nouvelle anecdote de son voyage chez les heureux.



1. J’ai change le nom de ce soldat, ainsi que celui du village. H. B.