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Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/212

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flamme du briquet : il faut se servir de la flamme même de la mèche et user le liquide qui reste dans son maigre ventre d’insecte.


… Moi, j’ai eu de la chance… Je vois Paradis qui erre, sa bonne face au vent, en ronchonnant et en mâchant un bout de bois.

— Tiens, lui dis-je, prends ça !

— Une boîte d’allumettes ! s’exclame-t-il, émerveillé, en regardant l’objet comme on regarde un bijou. Ah, zut ! c’est chic, ça ! Des allumettes !

Un instant après, on le voit qui allume sa pipe, sa figure en cocarde magnifiquement empourprée par le reflet de la flamme, et tout le monde se récrie et dit :

— Paradis qu’a des allumettes !


Vers le soir, je rencontre Paradis près des restes triangulaires d’une façade, à l’angle des deux rues de ce village misérable entre les villages. Il me fait signe :

— Psst !…

Il a un drôle d’air, un peu gêné.

— Dis donc, tout à l’heure, me dit-il d’une voix attendrie, en regardant ses pieds, tu m’as balancé une boîte de flambantes. Eh ben, tu s’ras récompensé d’ça. Tiens !

Et il me met quelque chose dans la main.

— Attention ! me souffle-t-il. C’est fragile !

Ébloui de la splendeur et de la blancheur de son présent, osant à peine le croire, je reconnais… un œuf !