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Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/268

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— Pas ton jeu ! Pisqu’il était maître, lui. Sabot ! volaille ! C’est malheureux, t’sais.

— Or, à cinq heures, à la sortie d’la caserne, mes deux phénomènes se raboulent et s’plantent devant les biffins qui sortent, en essayant de voir s’ils n’avaient pas quelque chose qui collochait pas, et i’ disait : « Ah ! mes gaillards, vous avez voulu vous payer ma tête en vous plaignant d’une soupe excellente que j’m’ai régalé, et la commandante aussi, attendez voir un peu si j’vais vous rater… Eh ! là-bas, l’homme aux cheveux longs, l’grand artiste, v’nez donc un peu ici ! » Et pendant que l’rossard i’ parlait comme ça, la rossinante, droite, raide comme un piquet, faisait : oui, oui, de la tête.

— … Ça dépend, pisque lui n’avait pas d’manillon, c’est un cas t’à part.

— Mais, tout d’un coup, on la voit qui d’vient blanc comme linge, elle s’pose sa main sur son magasin, est secouée d’un je ne sais quoi, et, tout d’un coup, au milieu de la place et de tous les fantaboches qui l’emplissent, la v’là qui laisse tomber son parapluie, et elle se met à dégobiller !

— Eh attention ! fait brusquement Paradis. V’là qu’on crie dans la tranchée. Vous entendez pas ? C’est-i’ pas « alerte ! » qu’on crie ?

— Alerte ! T’es pas fou ?

À peine a-t-on dit cela qu’une ombre s’insinue dans l’entrée basse de notre guitoune et crie :

— Alerte, la 22e ! En armes !


Un coup de silence. Puis, quelques exclamations.

— Je l’savais bien, murmure Paradis entre ses dents, et il se traîne sur les genoux, vers l’orifice de la taupinière où nous gisons.

Ensuite, les paroles s’arrêtent. On est devenus muets. À la hâte, on se redresse à demi. On s’agite, pliés ou agenouillés ; on boucle les ceinturons ; des ombres de bras se lancent de côté et d’autre ; on fourre des objets