Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/34

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… La question économique a dégénéré soudain en une violente dispute entre Pépin et Tulacque.

Les vocables les plus définitifs ont été échangés, puis :

— Je m’fous pas mal de c’que tu dis ou d’c’que tu n’dis pas. La ferme !

— J’la fermerai si j’veux, saleté !

— Un trois kilos te la fermerait vite !

— Non, mais chez qui ?

— Viens-y voir, mais viens-y donc !

Ils écument et grincent et s’avancent l’un vers l’autre. Tulacque étreint sa hache préhistorique et ses yeux louches lancent deux éclairs. L’autre, blême, l’œil verdâtre, la face voyou, pense visiblement à son couteau.

Lamuse interpose sa main pacifique grosse comme une tête d’enfant et sa face tapissée de sang, entre ces deux hommes qui s’empoignent du regard et se déchirent en paroles.

— Allons, allons, vous n’allez pas vous abîmer. Ce s’rait dommage !

Les autres interviennent aussi et on sépare les adversaires. Ils continuent à se jeter, à travers les camarades, des regards féroces.

Pépin mâche des restants d’injures avec un accent fielleux et frémissant :

— L’apache, la frappe, le crapulard ! Mais, attends, i’me revaudra ça !

De son côté, Tulacque confie au poilu qui est à côté de lui :

— C’morpion-là ! Non, mais tu l’as vu ! Tu sais, y a pas à dire : ici on fréquente un tas d’individus qu’on sait pas qui c’est. On s’connaît et pourtant on s’connaît pas. Mais ç’ui-là, s’il a voulu zouaviller, il est tombé sur le manche. Minute : je le démolirai bien un de ces jours, tu voiras.

Pendant que les conversations reprennent et couvrent les derniers doubles échos de l’altercation :

— Tous les jours, alors ! me dit Paradis. Hier, c’était