Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/382

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et non viable, en déséquilibre dans le monde, une espèce de cancer qui absorbe toutes les forces vives, prend toute la place et écrase la vie et qui, contagieux, aboutit, soit aux crises de la guerre, soit à l’épuisement et à l’asphyxie de la paix armée.

La morale adorable, ils la dénaturent : Combien de crimes dont ils ont fait des vertus, en les appelant nationales — avec un mot ! Même la vérité, ils la déforment. À la vérité éternelle, ils substituent chacun leur vérité nationale. Autant de peuples, autant de vérités, qui faussent et tordent la vérité.

Tous ces gens-là, qui entretiennent ces discussions d’enfants, odieusement ridicules, que vous entendez gronder au-dessus de vous : « Ce n’est pas moi qui ai commencé, c’est toi ! – Non, ce n’est pas moi, c’est toi ! – Commence, toi ! – Non, commence, toi ! », puérilités qui éternisent la plaie immense du monde parce que ce ne sont pas les vrais intéressés qui en discutent, au contraire, et que la volonté d’en finir n’y est pas ; tous ces gens-là qui ne peuvent pas ou ne veulent pas faire la paix sur la terre ; tous ces gens-là, qui se cramponnent, pour une cause ou pour une autre, à l’état de choses ancien, lui trouvent des raisons ou lui en donnent, ceux-là sont vos ennemis !

Ce sont vos ennemis autant que le sont aujourd’hui ces soldats allemands qui gisent ici entre vous, et qui ne sont que de pauvres dupes odieusement trompées et abruties, des animaux domestiques… Ce sont vos ennemis, quel que soit l’endroit où ils sont nés et la façon dont se prononce leur nom et la langue dans laquelle ils mentent. Regardez-les dans le ciel et sur la terre. Regardez-les partout ! Reconnaissez-les une bonne fois, et souvenez-vous à jamais !

— Ils te diront, grogna un homme à genoux, penché, les deux mains dans la terre, en secouant les épaules