Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/153

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peux t’mettre la corde pour la retrouver, surtout qu’on est bête de ses pattes quand on a froid.

— Moi, j’aurais des choses à coudre, mais, salut !

Reste une alternative : s’étendre sur la paille, en s’enveloppant la tête dans un mouchoir ou une serviette pour s’isoler de la puanteur agressive qu’exhale la fermentation de la paille, et dormir. Fouillade qui n’est, aujourd’hui, ni de corvée, ni de garde, et est maître de tout son temps, s’y décide. Il allume une bougie pour chercher dans ses affaires, dévide le boyau d’un cache-nez, et on voit ses formes étiques, découpées en noir, qui se plient et se déplient.

— Aux patates, là-dedans, mes petits agneaux ! brame à la porte, dans une forme encapuchonnée, une voix sonore.

C’est le sergent Henriot. Il est bonhomme et malin, et tout en plaisantant avec une grossièreté sympathique, il surveille l’évacuation du cantonnement à cette fin que personne ne tire au flanc. Dehors, dans la pluie infinie, sur la route coulante, s’égrène la deuxième section, racolée, elle aussi, et poussée au travail par l’adjudant. Les deux sections se mêlent. On grimpe la rue, on gravit le monticule de terre glaise où fume la cuisine roulante.

— Allons, mes enfants, jetons-en un coup, c’est pas long quand tout le monde s’y met… Allons, qu’est-ce t’as à rouspéter, encore, toi ? Ça sert à rien.

Vingt minutes après, on rentre au trot. Dans la grange, on ne touche plus en tâtonnant que des choses et des formes trempées, humides et frigides, et une âcre senteur de bête mouillée s’ajoute aux exhalaisons du purin que renferment nos lits.

On se rassemble, debout, autour des madriers qui soutiennent la grange, et autour des filets d’eau qui tombent verticalement des trous du toit – vagues colonnes au vague piédestal d’éclaboussements.

— Les voilà ! crie-t-on.

Deux masses, successivement, bouchent la porte, saturées d’eau et qui s’égouttent : Lamuse et Barque sont