Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/103

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et dédaigneux. Il en convenait avec empressement, ainsi qu’il faisait toujours de ce qu’on trouvait de mal en lui ou dans ses œuvres : « Tout le monde, lui répondait-il, est d’accord du désagrément de mon abord dans un salon. Non seulement j’en suis d’accord avec tout le monde, mais ce désagrément m’est plus désagréable qu’à personne. D’où vient-il ? de deux causes premières : orgueil, timidité…. On ne change pas sa nature, il faut donc composer avec elle. » Il promettait à la marraine de prendre sur soi d’être poli, mais il se défendait de donner la moindre parcelle de son coeur, fût-ce à l’amitié, fût-ce aux sympathies légères et fugitives qui font l’ordinaire attrait des relations mondaines. Était-ce sécheresse d’âme ? Était-ce souvenir de ce qu’il en pouvait coûter, et peur instinctive de la souffrance ? « Je me suis regardé, poursuit-il, et je me suis demandé si, sous cet extérieur raide, grognon, et impertinent, peu sympathique, quoi qu’en dise la belle petite Milanaise, si là-dessous, dis-je, il n’y avait pas primitivement quelque chose de passionné et d’exalté à la manière de Rousseau[1]. » Cela n’est point douteux. Il y avait eu du Saint-Preux en lui ; il y en eut toujours, sans quoi nous n’aurions pas les Nuits, qui n’ont assurément pas été écrites par Mardoche, ou par l’Octave des Caprices.

  1. 1837 ? —Souvenirs de Mme C. Jaubert. Les lettres de Musset citées dans ce volume ont été non seulement tronquées, mais parfois remaniées ; des fragments empruntés à des lettres de dates différentes ont été réunis pour en faire une seule.