Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/127

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le drame moderne, qui se croit souvent terrible quand il n’est que ridicule, cette muse farouche, inexorable, telle qu’elle était aux beaux jours d’Athènes, quand les vases d’airain tremblaient à sa voix ? »

Ce n’était point là propos en l’air. Musset a travaillé une fois pour la scène depuis la chute de la Nuit vénitienne. Rachel lui avait demandé une pièce. Il entreprit sans balancer une tragédie classique, et songea d’abord à refaire l'Alceste d’Euripide. Ce projet ayant été remis à plus tard, il se rabattit sur un sujet mérovingien. Une brouille avec Rachel interrompit pour toujours la Servante du roi (1839), mais il en subsiste quelques scènes, qui ne font pas regretter bien vivement la perte des autres ; elles n’annonçaient qu’une tragédie distinguée, et il est de bien peu d’importance pour la littérature française que nous ayons une tragédie distinguée de plus ou de moins, tandis qu’il est très important que nous ayons Lorenzaccio et On ne badine pas avec l’amour.

Je dois ajouter que Musset fut au nombre des chauds admirateurs de la Lucrèce de Ponsard. Il écrivait à son frère, le 22 mai 1843 : « M. Ponsard, jeune auteur arrivé de province, a fait jouer à l’Odéon une tragédie de Lucrèce, très belle—malgré les acteurs.—C’est le lion du jour ; on ne parle que de lui, et c’est justice. »

Bénis soient donc les sifflets qui accueillirent si brutalement la Nuit vénitienne. Ne s’inquiétant plus désormais d’être jouable, Musset ne s’est plus mis