Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/67

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

jour je vois s’effacer en lui les petites choses qui me faisaient souffrir ; chaque jour je vois luire et briller les belles choses que j’admirais. Et puis encore, par-dessus tout ce qu’il est, il est bon enfant, et son intimité m’est aussi douce que sa préférence m’a été précieuse. » (21 septembre.)

Fin septembre : « J’ai blasphémé la nature, et Dieu peut-être, dans Lélia ; Dieu qui n’est pas méchant, et qui n’a que faire de se venger de nous, m’a fermé la bouche en me rendant la jeunesse du cœur et en me forçant d’avouer qu’il a mis en nous des joies sublimes…. »

Tels furent les débuts de cette liaison fameuse, qu’on ne peut passer sous silence dans une biographie d’Alfred de Musset, non pour le bas plaisir de remuer des commérages et des scandales, ni parce qu’elle met en cause deux écrivains célèbres, mais parce qu’elle a eu sur Musset une influence décisive, et aussi parce qu’elle présente un exemple unique et extraordinaire de ce que l’esprit romantique pouvait faire des êtres devenus sa proie. La correspondance de ces illustres amants, où l’on suit pas à pas les ravages du monstre, est l’un des documents psychologiques les plus précieux de la première moitié du siècle. On y assiste aux efforts insensés et douloureux d’un homme et d’une femme de génie pour vivre les sentiments d’une littérature qui prenait ses héros en dehors de toute réalité, et pour être autant au-dessus ou en dehors de la nature que les Hernani et les Lélia. On y voit la nature se venger durement