Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/69

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première heure jusqu’à la dernière, depuis la soeur de charité jusqu’à l'orgueilleuse insensée, que je me suis mise à pleurer comme une bête en fermant le livre. » (A Mme d’Agoult, 25 mai 1836.)

Il avait pris tous les torts pour lui et poétisé le dénouement. Qu’on s’en souvienne, et qu’on relise ce récit haletant : on verra jour par jour, heure par heure, les étapes de ce supplice adoré, que résume ce cri de détresse jeté par George Sand au moment de la rupture : « Je ne veux plus de toi, mais je ne peux m’en passer ! » (Lettre à Musset, fév. ou mars 1835.) Et plus on relit, plus il éclate aux yeux, que ce qui est arrivé devait arriver.

Chacun d’eux souhaitait et exigeait l’impossible. Musset, passionnément épris pour la première fois de sa vie, avait derrière lui un passé libertin, qui s’attachait à lui comme la tunique de Nessus et contraignait son esprit à torturer son cœur. Comme le pêcheur de Portia, « il ne croyait pas », et il avait un besoin désespéré de croire. Il rêvait d’un amour au-dessus de tous les amours, qui fût à la fois un délire et un culte. Il comprenait bien qu’aucun des deux n’en était plus là, mais il ne pouvait en prendre son parti, passait son temps à essayer d’escalader le ciel et à retomber dans la boue, et il en voulait alors à George Sand de sa chute. Un quart d’heure après l’avoir traitée « comme une idole, comme une divinité », il l’outrageait par des soupçons jaloux, par des questions injurieuses sur son passé. « Un quart d’heure après l’avoir insultée, j’étais à genoux ; dès