Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/109

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miné les mœurs et les modes de pensée de l’extrême Orient. « J’aimerais mieux, disait-il, vivre avec des brutes ou des fous qu’avec des Chinois. » L’obsession — elle dura plusieurs mois — des rêves « d’imagerie orientale » lui causa « une horreur inimaginable » ; elle fut le point culminant de son supplice. « Sous les deux conditions connexes de chaleur tropicale et de lumière verticale, je ramassais toutes les créatures, oiseaux, bêtes, reptiles, arbres et plantes, usages et spectacles, que l’on trouve communément dans toute la région des tropiques, et je les jetais pêle-mêle en Chine ou dans l’Hindoustan. Par un sentiment analogue, je m’emparais de l’Égypte et de tous ses dieux, et les faisais entrer sous la même loi. Des singes, des perroquets, des kakatoès me regardaient fixement, me huaient, me faisaient la grimace ou jacassaient sur mon compte. Je me sauvais dans des pagodes, et j’étais, pendant des siècles, fixé au sommet, ou enfermé dans des chambres secrètes. J’étais l’idole ; j’étais le prêtre ; j’étais adoré ; j’étais sacrifié… J’étais enseveli, pendant un millier d’années, dans des bières de pierre, avec des momies et des sphinx, dans les cellules étroites au cœur des éternelles pyramides. J’étais baisé par des crocodiles au baiser cancéreux ; et je gisais, confondu avec une foule de choses inexprimables et visqueuses, parmi les boues et les roseaux du Nil[1]. »

À l’horreur et à la terreur succédait par moments « une sorte de haine et d’abomination » pour ce qu’il voyait. « Sur chaque être, sur chaque forme, sur chaque menace, punition, incarcération ténébreuse, planait un sentiment d’éternité et d’infini qui me causait l’angoisse et l’oppression de la folie. Ce n’était

  1. Traduit par Baudelaire.