Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/128

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d’une certaine époque, une cause profonde et constante, agissant uniformément, de ce décousu extraordinaire de la pensée. Les solutions de continuité qui m’ont fait comparer son intelligence à une passoire n’étaient plus des accidents passagers. Il y avait désormais en lui un je ne sais quoi qui les perpétuait, et produisait un émiettement général des idées aussi bien que des impulsions.

On ne peut que présumer ce qu’aurait été Quincey écrivain, dans d’autres circonstances, et en possession de tous ses moyens. On est réduit à le conjecturer d’après les idées qu’il a semées à l’aventure, le plus souvent hors de leur place. C’est un travail de reconstitution analogue à ceux qu’essaient les architectes pour les ruines antiques, et assujetti aux mêmes chances d’erreur ; la faculté métaphysique, la plus haute qui ait été donnée à l’homme, et, jadis, la pierre d’angle des vastes ambitions de Quincey, était celle de toutes qui avait le plus souffert chez lui ; il n’en faut pas davantage pour changer la physionomie d’une intelligence au point de la rendre méconnaissable.

Les spéculations personnelles avaient cédé la place, dans son esprit débilité et rétréci, à de simples antipathies ou sympathies pour les spéculations des autres, qu’il jugeait maintenant par des raisons « morales », les arguments « intellectuels » lui paraissant offrir des dangers pour un bon chrétien. Il affichait une aversion un peu puérile pour les « démolisseurs » en philosophie, à moins qu’après avoir déblayé le terrain, ils ne se missent incontinent à reconstruire. Kant, son ancien maître tant admiré, tant respecté, était devenu de sa part l’objet de « l’une de ces haines comme on dit qu’en éprouvent les hommes à l’égard du sinistre enchanteur, de quelque nom qu’on le nomme, dont les séductions détestables les ont attirés dans un cercle