Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/192

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grand éloge que l’on puisse faire d’un poète, c’est de dire qu’il « a l’air de voir avec son oreille[1] ».

Pour rester conséquent avec lui-même, il avait dû exclure du domaine de la poésie les passions en même temps que les idées. Ni les convoitises ni les haines des hommes ne sont dignes de la forme d’art qui procure à l’intellect ses voluptés les plus hautes ; elles exigent une clarté brutale dont ne sauraient s’accommoder les limites rigoureuses de l’expression poétique. — Et, continuait Poe, « si nous bannissons la passion de la vraie poésie, de la poésie pure,… si nous en écartons même l’émotion quasi divine de l’amour, — combien plus en rejetterons-nous tout le reste ?  ». « Tout le reste » comprenait bien des choses, mais tout particulièrement l’élément moral et didactique qui était pour les compatriotes de Poe la seule fin de la littérature, son unique raison d’être. Ce fut leur grande querelle. Nous la retrouverons, avec plus d’âpreté des deux côtés, à propos des œuvres en prose.

Ainsi qu’il arrive toujours, Edgar Poe avait déduit son système de son propre tempérament poétique. Il vivait dans un état de rêve où il n’avait que des sensations imprécises, quoique d’une extrême violence. Tous ceux qui l’ont approché ont été frappés des absences d’esprit de cet homme qui regardait sans voir, absorbé dans une vision à laquelle il ne s’arrachait qu’avec souffrance, et qu’il rappelait avec ardeur, convaincu qu’elle lui ouvrait le monde surnaturel. Il raconte qu’il avait trouvé des procédés pour se remettre à volonté dans l’état où les « extases » descendaient sur lui, et ces procédés n’étaient pas du tout ce que l’on pourrait croire d’après son vice. Loin de

  1. Marginalia. Voir aussi les articles de critique d’Edgar Poe, en particulier celui qui a pour titre : The poetic principle.