Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/216

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hommes m’ont appelé fou ; mais la science ne nous a pas encore appris si la folie est ou n’est pas le sublime de l’intelligence, — si presque tout ce qui est la gloire, si tout ce qui est la profondeur, ne vient pas d’une maladie de la pensée, d’un mode de l’esprit exalté aux dépens de l’intellect général… Nous dirons donc que je suis fou[1]. » C’est parce qu’il nous traîne perpétuellement au spectacle des « chancellements et des abattements de la raison malade[2] », étudiés directement sur lui-même, que nous oublions ses procédés artificiels sous l’empire d’un malaise analogue à celui qu’on éprouve en visitant un asile d’aliénés. On peut dire d’Edgar Poe, en se servant de ses propres expressions, que la malformation organique de son intelligence a été son génie même. C’est marquer du même coup ses limites, et son rang secondaire dans l’échelle des esprits créateurs.

Edgar Poe conteur procède à la fois de Coleridge et des romantiques allemands, de Coleridge pour les idées générales, des romantiques allemands pour la technique. Il possédait son Hoffmann sur le bout du doigt[3]. Non content de lui emprunter son genre, il avait appris à son école à donner de la réalité, par la précision et la vérité du détail, aux fantaisies les plus extravagantes. Son instinct l’avait bien servi dans le choix d’un modèle. Poe s’était engagé dans la voie où toutes ses qualités devaient trouver leur emploi, les

  1. Éléonore.
  2. Écrivains francisés, par Émile Hennequin.
  3. On se rappelle peut-être certaine consultation d’Hoffmann, dédiée aux artistes, sur les rapports qui existent entre les différents crus de vin et l’inspiration. Il recommandait le bourgogne pour l’opéra sérieux, le vin du Rhin pour la musique d’église, et ainsi de suite. Poe s’est approprié ce passage peu connu, en le démarquant, dans un conte appelé Bonbon, qui n’a pas été traduit en français.