Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/277

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encore, et laissait entendre qu’il remontait en droite ligne à l’empereur Nerva. Ce qu’il en disait n’était point par vanité : il ignorait la vanité ; c’était une idée qui amusait son imagination. Lorsqu’il daignait reprendre pied sur la terre, ses origines étaient beaucoup plus modestes. Gérard de Nerval, de son vrai nom Gérard Labrunie, se rappelait alors que les siens étaient de la Picardie et de souche paysanne ; et, comme il adorait les mœurs simples et les vieux souvenirs, il s’empressait de dépeindre ses grands-parents dans la poésie de leurs occupations rustiques. Son grand-père maternel avait poussé la charrue d’un oncle dans des circonstances qui rappellent Jacob chez Laban : « Un jour, raconte Gérard de Nerval, un cheval s’échappa d’une pelouse verte qui bordait l’Aisne, et disparut bientôt entre les halliers ; il gagna la région sombre des arbres et se perdit dans la forêt de Compiègne. » Cela se passait vers 1770. « Ce n’est pas un accident rare qu’un cheval échappé à travers une forêt, et cependant, je n’ai guère d’autre titre à l’existence. Cela est probable du moins, si l’on croit à ce qu’Hoffmann appelait l’enchaînement des choses. »

Le maître du cheval était un jeune rêveur appelé Pierre Laurent, silencieux de son naturel et fils d’un autre silencieux. La perte du cheval ayant amené un choc entre ces deux taciturnes, Pierre fit son petit paquet et s’en vint à travers la forêt de Compiègne chez un bonhomme d’oncle qui cultivait un mauvais champ près des étangs de Châalis, dans le Valois : « Mon grand-père aida le vieillard à cultiver ce champ, et fut récompensé patriarcalement en épousant sa cousine. » Gérard de Nerval omet d’ajouter que Pierre Laurent devint ensuite « linger » à Paris, dans le quartier Saint-Martin. J’imagine que, ne trouvant aucune grâce à cette profession de citadin, il l’avait