Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/292

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des yeux gris « aussi lointains que des étoiles[1] », un grand front « poli comme de l’ivoire et brillant comme de la porcelaine » ; rien de tragique dans sa physionomie, rien de byronien dans ses attitudes, mais des timidités et des rougeurs de jeune fille de Scribe, la terreur d’attirer l’attention, l’horreur des querelles et des discussions, du bruit et des couleurs voyantes. Invariablement vêtu d’une longue redingote en orléans noir et d’un paletot bleu foncé « auquel, disait Gautier, on avait recommandé de ressembler au paletot de tout le monde », il aurait passé partout inaperçu et comme invisible sans sa démarche très particulière d’homme à demi soulevé par un souffle secret. Sa conversation donnait une impression analogue ; c’était « un esprit ailé, une nature ailée », répètent ses amis, auxquels il rappelait les oiseaux voyageurs. On était accoutumé, dit encore Gautier, « à le voir apparaître dans une courte visite, familier et sauvage comme une hirondelle qui se pose un instant et reprend son vol après un petit cri joyeux ». Il fallait le suivre « pour profiter de sa conversation charmante, car demeurer en place était pour lui un supplice. Son esprit ailé entraînait son corps, qui semblait raser la terre ».

L’hirondelle ne chante pas ; elle gazouille. Ce qu’écrivait Gérard Labrunie ne se prêtait pas à être trompeté le poing sur la hanche et le nez au vent, ainsi qu’il convenait aux œuvres romantiques ; il avait toujours l’air d’écrire pour être lu à demi-voix. Il « se plaisait dans les gammes tendres, les pâleurs délicates et les gris de perle chers à l’école française de l’autre siècle. S’il admirait Hugo, il aimait Béranger[2] ». Il l’ai-

  1. Paul de Saint-Victor, Notice sur Gérard de Nerval.
  2. Théophile Gautier, Notice.