Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/346

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qu’il s’était préparé à cette ascension en « quittant ses habits terrestres ». Il n’était plus heureux que dans la liberté du rêve, loin des visages connus et des questions irritantes, « songeant tout haut, rêvant les yeux ouverts, attentif à la chute d’une feuille, au vol d’un insecte, au passage d’un oiseau, à la forme d’un nuage, au jeu d’un rayon, à tout ce qui passe par les airs de vague et de ravissant[1] ».

Il avait toujours soutenu que chaque religion contient une part de la vérité, celles qui sont mortes comme les autres, de façon que l’humanité ne possède jamais que des débris du grand mystère. Un jour qu’il en discourait chez Victor Hugo, place Royale, debout devant la grande cheminée du salon, quelqu’un lui dit : — « Mais, Gérard, vous n’avez aucune religion ! — Moi, pas de religion ? j’en ai dix-sept… au moins. » Dix-sept n’était pas encore assez dire dans les dernières années de sa vie. Les démons du Talmud et les génies des Mille et une Nuits avaient tenu dans sa tête d’étranges congrès avec les fées du Rhin et les trois Vénus de l’île de Cythère, et il était sorti de leurs délibérations un Gérard de Nerval mage et cabaliste, païen et chrétien, tireur d’horoscopes et fabricant de talismans, également versé dans la Symbolique de Creuzer et dans les contes de bonnes femmes, et leur attribuant une égale valeur. Il avait déniché dans la salle à manger de Maxime Du Camp un meuble aimé des esprits, qui s’y logeaient et y prononçaient des discours. Gérard de Nerval venait les évoquer, avec des rites qui l’auraient fait brûler au moyen âge, dans l’espoir d’obliger Adam à lui dicter un livre de Kabbale que notre premier père avait reçu en présent des mains du Seigneur, et qui s’est perdu

  1. Paul de Saint-Victor, préface de la Bohème galante.