Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/37

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devient philistin déterminé en face d’un « badinage » de plusieurs centaines de pages qui naît et renaît sans rémission, « d’une intuition profonde de l’être ». Le Chat Murr, par exemple, chef-d’œuvre d’Hoffmann d’après son dernier biographe[1], est un défi effronté à la patience du lecteur le plus débonnaire. Il faudrait être la douce Micheline pour aller jusqu’au bout sans avoir envie de jeter le livre à la tête de l’auteur.

Murr est un chat philosophe qui écrit ses mémoires. Son maître ayant laissé un livre sur la table, il en déchire des pages pour se faire du papier buvard, et néglige ensuite de les retirer de son manuscrit. L’imprimeur des mémoires croit qu’elles font partie du texte, et les réflexions de Murr sur la vie ou sur l’art s’entremêlent ainsi, à bâtons rompus et au beau milieu des phrases, avec des fragments d’une histoire mélodramatique dont nous n’avons ni le commencement ni la fin. Voilà ce qu’on appelait, en langage romantique allemand, posséder le sens de l’ironie. Ce sont des inventions de ce genre qui ont arraché à Henri Heine ce cri du cœur, à propos des disciples de Tieck et des Schlegel : « Je viens de comparer le Parnasse allemand de ce temps-là à Charenton ; mais je crois qu’en cela j’ai dit trop peu. Une démence française est loin d’être aussi folle qu’une démence allemande, car dans celle-ci, comme eût dit Polonius, il y a de la méthode. » La méthode dans l’extravagance a été la perdition d’Hoffmann humoriste ; on croit toujours être tombé sur le morceau auquel il songeait en notant dans son Journal, de peur, apparemment, de

  1. E.-T.-A. Hoffmann, Sein Leben und seine Werke, par Georg Essinger. (1 vol. in-8 ; Léopold Voss. Hambourg et Leipzig, 1894.)