Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/42

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dans les lieux où tout le monde va, où tout le monde est. Ceux du Majorat n’habitent parmi des ruines que parce qu’Hoffmann avait réellement séjourné dans le vieux château des bords de la Baltique. Le décor lui avait paru joli ; il l’utilisa, mais sans croire un instant qu’on ait plus de chances de voir des revenants dans une salle gothique et croulante qu’au coin de son feu, dans la modeste chambre soigneusement époussetée par la bonne Micheline. Il savait trop bien le contraire, lui qui était entouré d’esprits, étant un Voyant.

En ce temps-là, l’alcoolisme n’avait pas encore été étudié scientifiquement. Hoffmann ne se doutait pas, lorsqu’il buvait pour exciter son cerveau, que ses visions sortaient avec le vin du goulot de la bouteille. Il croyait seulement avoir donné à ses facultés toute leur acuité, afin de pouvoir plonger ses regards dans le monde mystérieux qui reste invisible à l’homme ordinaire. Le poète, disait-il, « favori de la Nature », peut seul aspirer à « la connaissance profonde, complète, de l’être ». Il n’est donné qu’à lui de lever les voiles qui dérobent aux yeux du vulgaire des phénomènes obéissant à d’autres lois, à d’autres forces, que les lois et les forces étudiées, formulées, mesurées par les docteurs et les académiciens. Quand on a « le don », beaucoup de choses qui paraissent inexplicables aux autres deviennent toutes naturelles. Hoffmann avait le don. Il n’était donc pas surprenant qu’il vit les habitants de cet autre monde, et qu’il conversât avec les esprits des trépassés. Plus les hallucinations redoublaient, plus il avait la foi et, inversement, plus il réfléchissait à ces mystères, plus il apercevait après boire de revenants et d’êtres extra-terrestres en tout genre, car il a été constaté que « les hallucinations ont pour objet, soit les occupations ordinaires, soit les