Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/57

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moue d’impatience et ne se laisse plus rejoindre de la soirée.

Cette dame mûre, qui a intrigué pour être placée à souper auprès de la nouvelle célébrité, c’est un bas-bleu. Elle se faisait une fête de causer en confrère avec Hoffmann, mais sa joie n’a pas été de longue durée. Aux premiers mots qui l’ont décelée, il a saisi son assiette et son couvert, et s’est enfui à toutes jambes à l’autre bout de la table. Pour lui, une femme auteur était un monstre : « Elles appartiennent, disait-il, à l’hospice des Incurables, au moins passé vingt-cinq ans. » Il ajoutait : « Quant à vos femmes intellectuelles, qui pérorent sur toutes sortes de sujets savants sans y rien entendre, je les hais à la mort. »

Je ne voudrais pas, de peur de tourner toutes les femmes contre lui, qu’on crût qu’il était mieux élevé avec les hommes. Il n’y avait pas d’impertinences qu’il ne se permît avec eux, sous prétexte que le monde avait été une déception, qu’il s’y ennuyait « abominablement » et qu’il était incapable de supporter l’ennui. Les soirées données en son honneur, pour le produire et s’en parer, étaient marquées par des séries de déconvenues. On avait promis aux invités un causeur éblouissant, doublé d’un original. Ils arrivaient la bouche en cœur, et le premier coup d’œil était réellement intéressant. Hoffmann avait l’air plus fantastique que ses propres personnages, tant il était immatériel d’aspect et voltigeant. On s’empressait pour entendre ce farfadet : Hoffmann se mettait à faire l’imbécile et à débiter des balourdises. Ou bien il faisait le pitre et lançait d’ineptes facéties, avec une espèce de fureur, à la noble compagnie. Ou bien il inventait une mystification qui mettait la maison sens dessus dessous. Ou bien il s’arrangeait pour qu’il se produisît un charivari au moment où la musique com-