Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/127

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celés s’analysent difficilement, en tout état de cause. Il n’y faut même pas songer avec Quincey, qui demeura en littérature l’homme aux « efforts spasmodiques et irréguliers », condamné aux digressions à perpétuité. Les idées ne lui manquent pas, et il y en a beaucoup d’ingénieuses, il y en a quelques-unes de vraiment originales ; mais son intelligence est, pour ainsi parler, pleine de trous, à travers lesquels les idées coulent sans qu’il puisse les retenir. C’est une vraie passoire, d’où il sort parfois des articles sans queue ni tête, par exemple l’article sur Sir William Hamilton, dans lequel Quincey parle de tout excepté de son sujet : de l’influence des chemins de fer sur l’argot, de la supériorité de Milton sur Homère, de l’admiration « bestiale » des anciens Grecs pour les exercices athlétiques, du caractère destructif des doctrines de Kant, etc., etc. Il n’y a que son héros dont il ne nous parle point. Quelques lignes nous apprennent où il l’avait rencontré et connu ; mais nous n’avons pas une ligne, pas un mot, sur les travaux philosophiques de William Hamilton, et cet article n’est pas unique en son genre dans la collection. Que serait-ce si Quincey ne s’était revu et refondu avec beaucoup de soin sur ses vieux jours, après avoir fait sa paix avec l’opium ?

La médecine a constaté que les morphinomanes ont le « caractère versatile » et changent d’humeur, d’idée, selon qu’ils sont plus ou moins sous l’action du poison. Le même individu passe en quelques minutes de la tristesse à la gaieté, du plus sombre mutisme à une animation turbulente : une piqûre a fait le miracle. En étudiant Quincey et ses aveux perspicaces, il semble — je le dis timidement — qu’en dehors des causes intermittentes de « versatilité » dues aux alternances d’ivresse et d’état de besoin, on sente chez lui, à partir