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L’APPEL AU SOLDAT

seurs. Autour de Gambetta, représentatif du patriotisme quand même, de la foi obstinée en la patrie, ils n’apportaient qu’une certaine fraternité d’associés qui se frottent les mains et clignent de l’œil, ayant fait dans la matinée une bonne opération. Leurs lourdes physionomies révélaient bien des être bas, façonnés pour les plus grossières jouissances, à qui sont inconnues et même interdites de naissance toutes les hautes curiosités intellectuelles, aussi bien que les délicatesses de l’âme.

À un instant, Floquet ayant ouvert une dépêche dit avec animation quelques mots qui remuèrent son entourage. L’excuse d’un invité ? la félicitation d’un personnage important ? Dans cette foule qui n’avait en tête que le tragique du jour, une rumeur courut : le président du Conseil venait d’apprendre que Boulanger entrait en agonie. Les cris féroces de : « Vive Floquet ! » redoublèrent ; il y eut une nouvelle poussée vers son estrade, et Sturel, à travers les chapeaux agités à pleines mains, ne perdait pas de vue Bouteiller, parce que, sur ce visage associé aux plus hautes méditations de sa première jeunesse, il espérait surprendre une interprétation supérieure de ces abjectes réalités.

Ce jeune homme attardé au vestibule de la vie, qui est sentimental, apportait dans ce tourbillon un idéalisme tout à fait excentrique : il surveillait Bouteiller, sans se montrer lui-même ; il craignait de le gêner en le dévisageant dans l’exercice de ses fonctions un peu basses et au milieu de passions dont la cruauté devait les choquer l’un et l’autre ! Aussi quelle stupeur et très vite quel âpre dégoût, quand, au milieu de ces vivats qui tournaient à l’ovation, il vit Bou--