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L’APPEL AU SOLDAT

une épée républicaine. Il s’est fait une idée propre de la tactique à suivre. Il l’a indiquée, dans la nuit chez Laguerre, tandis qu’on discutait les moyens d’un coup de force, au bénéfice des radicaux, pour écarter M. Jules Ferry de la Présidence : « Il n’y a pas à donner des ordres aux troupes ; on les consigne. »

Le peuple marchant sur la Chambre, sur l’Élysée, et ne trouvant aucune résistance, est-ce donc là ce qu’il attend, silencieux et qui revient toujours à la fenêtre ? En vérité, que pourrait empêcher ce pauvre M. Clément qui se promène le long de la Madeleine porteur d’un mandat d’arrêt ?

Malgré ces acquiescements de son intelligence à la légitimité et à la possibilité d’une intervention de soldat, l’âme droite, honnête et naïve du général Boulanger garde des préjugés d’éducation. Il se rappelle que son père récitait les invectives de Victor Hugo contre l’Homme du Deux-Décembre. Il redoute le jugement des rédacteurs de l’histoire. Tout à fait ignorant du métier littéraire, il s’épouvante d’un bruit de plumes.

Moins honnête et poussé par des appétits, il aurait marché. Un sage aussi, un homme clairvoyant et soutenu par des idées maîtresses, eût mis, au nom de la science politique, son épée au service des volontés confuses de la France. Avec les pleins pouvoirs que lui donne Paris, le Général devrait être le cerveau de la nation et diriger ce que sollicite l’instinct national. Il défaille, faute d’une doctrine qui le soutienne, et qui l’autorise à commander ces mouvements de délivrance que les humbles tendent à exécuter. Autour de lui, l’inconscient se soulève en