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L’APPEL AU SOLDAT

prêter ces grands lieux communs de l’Italie septentrionale. La plupart des jeunes gens sont d’abord des chiens fous qui bondissent, caressent, aboient, sans ressentir rien que le plaisir de se dépenser. Il faut élaguer en soi bien de la broussaille, pour que notre bel arbre propre puisse étendre ses racines, se nourrir de toute notre vie et couvrir de ses branches dans l’univers la plus grande surface.

Sturel parcourut durant les hivers de 85-86 et de 86-87, la Lombardie, la Toscane, la Vénétie, que l’homme du Nord ne devrait jamais visiter que vêtu d’un cilice, car s’il néglige de contrarier leurs délices par quelque souffrance volontaire, comment plus tard s’accommodera-t-il de son aigre patrie ? Il ne voyageait pas pour goûter du vin et des filles. Sous un ciel si puissant, des paysages qui font contraste lui dirent chacun leur mot. Parmi ces climats physiques et moraux qui le saisissaient, ce touriste solitaire évolua. La nature, l’art et l’histoire lui violentèrent l’âme.

C’est dans l’histoire que peuvent s’aguerrir des êtres trop susceptibles pour se mêler d’abord aux spectacles de la vie. Celle-ci, en devenant la mort, leur semble s’épurer ; du moins, elle se dépouille : simplifiée et fixée, elle fait un plus facile objet d’études. La branche qui pourrit dans une tourbière laisse après des siècles l’empreinte délicate et nette de toutes ses nervures entre deux feuilles de schiste. Plus immédiatement que Paris, Pise et l’intacte Sienne nous rendent nationalistes. Il semblait à Sturel qu’il eût été vivifié d’une forte et utile activité dans l’étroit horizon d’une ville autonome,