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L’APPEL AU SOLDAT

mêmes le récit d’un tel événement, de cette chasse royale. Il croyait avoir vu autour de Boulanger certaines scènes historiques ; elles l’avaient averti que l’histoire littéraire empâte avec des mensonges toutes les parties délicates et aiguës, et elles lui avaient donné un goût cruel du réalisme dans les hautes tragédies. Il se levait pour apercevoir le calme Varennes, pour embrasser cette belle campagne claire où périt une maison royale de dix siècles, et sa jeune silhouette d’ambitieux et d’enthousiaste révélait assez les désordres que perpétuent de tels drames politiques dans l’imagination d’une société.

Saint-Phlin, enchanté de son effet, proposa d’aller jusqu’à Varennes.

Aujourd’hui, comme en 1791, cette petite ville n’est qu’une longue rue qui, sur un pont, traverse une rivière. Ils l’atteignirent par l’endroit même où les voitures s’arrêtèrent dans la nuit : à la recherche des chevaux de relais, les postillons, le roi et la reine eux-mêmes erraient, frappaient aux portes. C’est alors que Drouet les dépassa ; et, descendant à mi-rue, il sauta de cheval dans un café, maintenant une épicerie-librairie. Des « patriotes » s’y trouvaient. Il leur apprend que le roi stationne dans le haut de Varennes et qu’il faut l’arrêter. Ce Drouet, c’est un de ces hommes autour de qui on se groupe parce qu’ils donnent l’impression qu’avec eux on réussira. Il réveille le procureur de la commune, M. Sauce ; des enfants crient : « Au feu ! » pour tirer dehors les habitants ; il barre le pont avec des voitures de meubles que le hasard a préparées. À cette époque, entre le café et le pont, un second obstacle existait, une voûte, aujourd’hui démolie, basse et se fermant